Alliance Groupe BOA - BMCE
Entretien avec Paul Derreumaux, PDG du groupe Bank of Africa.
Paul Derreumaux.
Propos recueillis par Adama Wade, Casablanca
Les Afriques : M. le Président,
plus d’un an après l’acquisition d’une part stratégique de la BOA par
BMCE Bank, quel est le plan de développement retenu par les deux
ensembles dans un milieu africain en phase de consolidation ?
Paul Derreumaux : L’accord définitif BOA/BMCE est en fait
beaucoup plus récent, puisqu’il est devenu effectif le 25 février 2008.
L’un des attraits qu’avait très vite présenté cette alliance, dès le
début des négociations entre les deux parties, était la convergence
remarquable des visions et des stratégies de la BMCE et du groupe Bank
of Africa. Notre groupe est, depuis son origine en 1982, totalement
dédié à l’Afrique et notre ambition est, depuis plus d’une dizaine
d’années, de construire le réseau le plus large possible en Afrique
subsaharienne, basé sur des banques commerciales solides et innovantes
et étendu à d’autres composantes du système financier. La BMCE, quant à
elle, a opéré une mue profonde depuis sa privatisation en 1995, pour
s’implanter fortement dans la banque d’investissement et d’autres
activités financières, et pour s’investir activement à l’international,
notamment en Afrique. Dès lors, le plan de développement arrêté
conjointement par le nouvel ensemble était simple à définir. D’une
part, il est prévu que tout projet de banque en Afrique subsaharienne
sera mené par BOA Group, la holding du groupe Bank of Africa, sous la
marque Bank of Africa. D’autre part, il est décidé que les futures
implantations de banques d’affaires initiées par Medicapital, banque
d’investissement du Groupe BMCE Bank, seront menées en joint-venture
Medicapital/Bank of Africa dans tous les pays où notre réseau est
présent.
LA : Pourquoi la BMCE ?
Paul Derreumaux : Un nouvel actionnaire devait répondre à trois critères : tout d’abord, trouver un allié respectueux de la poursuite de notre plan stratégique, inchangé depuis la création du groupe ; ensuite, retenir un partenaire banquier d’une taille suffisante ; enfin, donner la priorité à une institution du Sud. La BMCE a clairement répondu à ces trois contraintes. Sa participation est désormais de 35% dans capital de BOA Group, et un pacte d’actionnaire a été conclu avec les actionnaires privés, qui restent les actionnaires les plus importants de la holding : privés : 49% ; BMCE : 35% ; autres institutions : 16%.
LA : Parmi la dizaine de pays où la BOA est présente, quel est celui où il entend jouer un rôle de leader dans le futur ?
Paul Derreumaux :
Nous sommes déjà leaders aujourd’hui au Bénin, à Madagascar, et bientôt
dans un troisième pays, et nous sommes positionnés parmi les banques de
référence dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest. En Afrique de l’Est,
au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie, nous sommes implantés depuis moins
de 4 ans, parfois beaucoup moins, et nous occupons donc des positions
plus modestes, mais en progrès réguliers. Pour répondre à votre
question, je dirais que nous raisonnons aujourd’hui plus en termes de
zones géographiques que de pays. Ainsi, en zone UEMOA, nous avons
l’ambition de consolider nos parts de marché, dans la plupart des cas
de les augmenter, mais surtout de poursuivre une croissance globale
dans toute la zone.
En Afrique de l’Est, nous sommes une des rares banques à être établie
dans les trois pays de l’East African Community et nous comptons
beaucoup sur cette synergie pour devenir un acteur important du paysage
bancaire dans cette région. A Madagascar, nous détenons le plus grand
réseau de l’île et la BOA-Madagascar est une banque à forte
rentabilité, solide, et particulièrement bien implantée dans son
environnement. Bien entendu, nous avons de nombreux dossiers dans nos
cartons, même si nous n’avons pas l’habitude de claironner à l’excès
nos projets.
LA : L’absence de la BOA dans les
bourses régionales africaines n’est-elle pas finalement
sous-valorisante ? A combien évaluez-vous vos actifs à la fin du
premier trimestre 2008 ?
Paul Derreumaux : Deux Bank of Africa, celles du Bénin et du
Niger, sont cotées à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM)
d’Abidjan, la première depuis près de 10 ans. Leurs titres se portent
bien, sont bien rémunérateurs pour leurs actionnaires et sont, depuis
leur entrée à la cote, en hausse forte et constante. De plus, nous
projetons d’introduire à la BRVM d’autres BOA de la zone UEMOA, dans
les mois et les années à venir. Il est clair que la présence d’une
entreprise sur le marché boursier contribue à sa dynamisation, garantit
sa transparence et lui permet de faire appel à des financements
significatifs. Mais c’est aussi un processus long, qui demande des
préalables importants pour être mené avec un maximum de garanties de
succès. Malgré cette prudence, notre objectif d’une entrée en bourse de
toutes les BOA a été clairement affirmé et sera strictement respecté
selon un calendrier qui optimisera les chances de réussite à court et
moyen termes de ces opérations. De même, la cotation de notre société
holding a été explicitement retenue dans les accords conclus avec la
BMCE et sera la clé de voûte de cet ancrage de notre groupe dans les
marchés financiers.
En ce qui concerne nos actifs en fin de premier trimestre 2008, nous
les évaluons à environ 2,2 milliards d’euros, soit quelque 3,5
milliards de dollars, en termes de bilan consolidé, ce qui fait du
groupe Bank of Africa l’un des grands groupes bancaires d’Afrique.
LA : Par quel mystère ce groupe a-t-il
été fondé au tout début ? Quelles garanties avait le PDG et fondateur
que vous êtes en ralliant l’Afrique après avoir laissé une vie
tranquille de fonctionnaire en France ?
Paul Derreumaux :
Il n’y a aucun mystère, mais il est clair que la BOA est une expérience
atypique, ce qui la rend d’ailleurs sans doute si attachante aux yeux
de beaucoup. La première création, celle de la Bank of Africa-Mali
(BOA-Mali) en 1982, répondait à un objectif simple : donner la preuve
qu’il était possible de créer et de faire vivre, dans un environnement
bancaire régional composé, à l’époque, quasi uniquement de grandes
banques étrangères – surtout françaises – et de banques d’Etat, une
banque à capitaux entièrement privés, très majoritairement africaine,
indépendante des grandes multinationales mais capable de montrer le
même professionnalisme, tout en s’efforçant de mieux répondre aux
besoins de la clientèle locale. Malgré le caractère alors iconoclaste
de cette initiative d’investisseurs maliens, le pari fut gagné en 2
ans, la BOA-Mali ayant alors montré sa viabilité et sa rentabilité. Au
vu de cette réussite, j’ai créé avec quelques amis la société African
Financial Holding (AFH), maintenant BOA Group, en vue de réaliser
progressivement toutes les conditions requises pour reproduire avec le
même succès cette expérience dans d’autres pays et de mettre en œuvre
cette stratégie de déploiement. Le reste n’a été qu’une question de
ténacité, de travail, et de forte solidarité entre tous les acteurs du
groupe, en bref, tout ce qui peut constituer une belle aventure
humaine. Sur l’autre aspect de votre question, je ne disposais bien
évidemment d’aucune garantie, mais vous savez bien que l’entrepreneur
n’en dispose jamais. La question ne s’est tout simplement pas posée…
LA : Quel bilan faites-vous durant cette période de l’évolution des banques africaines ?
Paul Derreumaux : Cette question est trop vaste pour espérer y
répondre en quelques mots, mais, en résumé, je fais le constat d’un
secteur qui a structurellement profondément et positivement évolué,
depuis une trentaine d’années : plus de professionnalisme, plus de
contrôle, plus de concurrence, donc plus d’émulation profitable au
client, et plus d’implication dans le développement économique de nos
pays, notamment.
Nous observons également, et c’est plus récent, l’émergence de groupes
africains, ce que j’interprète comme un très bon signe pour le
développement de notre continent.
Enfin, dernière tendance qui marque une révolution majeure, un
décloisonnement total des champs d’opérations : les banques marocaines
ou nigérianes investissent hors de leur pays, les banques anglophones
pénètrent les marchés francophones, les groupes francophones
s’établissent en zone anglophone, etc. Le marché devient donc
continental, totalement ouvert, avec tous les jeux d’alliances, de
fusions et de guerres commerciales que cela implique, sans compter la
possibilité d’implantation future de groupes non africains, chinois ou
indiens par exemple.
(Source: LesAfriques.com)