Trop nombreuses et souvent sous-capitalisées, les
banques de la zone franc constituent une cible privilégiée. Face à
elles, des poids lourds marocains en quête de nouveaux marchés. Et des
groupes nigérians en ordre dispersé.
Longtemps
seuls acteurs internationaux dans la région, les banques françaises «
ne sont plus tellement intéressées par l’Afrique subsaharienne,
explique Koné Dossongui, banquier et patron du Groupe Banque
Atlantique. Prenez le cas de la Côte d’Ivoire, où elles étaient
autrefois les premières. Aujourd’hui, avec nos deux établissements,
nous sommes deuxième sur le marché, juste derrière la Société générale,
mais loin devant BNP Paribas. Et je ne parle même pas du Crédit
Lyonnais. » Marché emblématique, la Côte d’Ivoire a en effet vu, ces
dernières années, l’émergence et le développement rapide d’Ecobank, de
Bank of Africa et des deux banques du Groupe Banque Atlantique. Mis à
part la Société générale, qui semble repartie à l’offensive, les
établissements français donnent l’impression de caler. Au sud du
Sahara, aucun n’a fait d’acquisition depuis le rachat, en 2003, de SSB
Bank, le quatrième établissement du Ghana, par la Société générale,
pour 23 millions de dollars. Historiquement présents en Afrique, BNP
Paribas et la Société générale semblent avoir davantage concentré leurs
efforts dans le nord du continent et dans d’autres parties du monde,
notamment en Europe de l’Est. Le Crédit agricole - qui a pourtant
récupéré les actifs du Crédit Lyonnais, parmi lesquels cinq banques
subsahariennes -, paraît quant à lui presque inexistant. Et aucun
nouvel acteur français n’est venu donner un coup de fouet au secteur
dans la zone CFA, alors même que deux établissements britanniques,
Barclays et Standard Chartered, faisaient bouger leurs homologues
d’Afrique anglophone.
Cent banques dans l’UEMOA !
Pourquoi une telle désaffection ? Certes, porté par la très bonne santé
de la plupart des établissements, le paysage bancaire de la zone franc
tarde à entrer pleinement dans la modernité. De nombreuses banques ont
vu le jour ces dernières années, mais sans réellement dynamiser le
marché. Certaines, financées par des fonds publics ou suscitées par des
initiatives publiques - comme les différentes filiales de la Banque
régionale de solidarité ou celles de la Banque sahélo-saharienne pour
l’investissement et le commerce -, cherchent leur positionnement. En
revanche, côté privé, le Groupe Banque Atlantique a bousculé le marché,
en ouvrant des filiales dans six pays d’Afrique de l’Ouest. Dans son
ensemble, la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOA) a vu le nombre de ses banques s’accroître assez fortement au
cours des dernières années, passant de 66 à la fin de 2002 à 97 à la
fin de 2007. Une augmentation de près de 47 % d’autant plus paradoxale
que, au même moment, les plus grands pays subsahariens, dont le Nigeria
et le Kenya, voyaient le nombre de leurs établissements se réduire.
Tout cela sans réel effet sur le développement du secteur bancaire :
selon des chiffres de BNP Paribas, le total des crédits accordés dans
la zone CFA s’élevait à 16 % du PIB en 2006, contre 80 % du PIB en
Afrique du Sud ou à Maurice, les deux économies les plus développées au
sud du Sahara. Autre statistique tout aussi inquiétante, celle
concernant la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
(Cemac) : selon les mêmes experts, les sommes déposées dans les banques
de la sous-région dépassaient de 25 % les prêts accordés !
La consolidation du secteur fait donc partie des impératifs pour
bâtir un système bancaire équilibré et pérenne. Mais si les Français
capitulent sur ce front, qui pourrait donc s’en charger ? Un certain
nombre d’acteurs potentiels sont d’ores et déjà passés à l’action.
Parmi eux, la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE Bank) est
devenue, en 2007, l’actionnaire de référence du groupe Bank of Africa.
Déjà actionnaire de la Congolaise de Banque en RD Congo, le groupe
marocain dispose ainsi d’un réseau actif dans une dizaine de pays
africains. Au début du mois d’avril, à Rabat, lors du Africa Emerging
Markets Forum, Jaloul Ayed, administrateur-directeur général de BMCE
Bank, soulignait les ambitions du groupe au sud du Sahara. Son objectif
est, d’une part, de développer le réseau dans de nouveaux pays -
notamment au Cameroun, au Congo-Brazaville, au Gabon et en Angola - et,
d’autre part, de renforcer le pôle banque d’investissement et de
capital-investissement en Afrique. « BMCE Bank a ainsi décidé de
prendre une position d’acteur financier leader en Afrique en
élargissant sa couverture à une part importante du continent d’ici à
2015 », précise Jaloul Ayed. De quoi faire peur à l’autre poids lourd
marocain, Attijariwafa Bank, qui, lui aussi, a mené d’importantes
opérations au sud du Sahara ? Au début de 2007, le groupe a acquis deux
banques sénégalaises, l’une de taille modeste, la Banque
sénégalo-tunisienne (BST), l’autre étant le leader du pays, la
Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (CBAO) cédée par la famille
Mimran. En revanche, le groupe a buté tout au long de l’année 2007 sur
l’acquisition de la Banque internationale pour l’Afrique au Niger (BIA
Niger), mise en vente par Fortis. Mais ses ambitions de développement
en Afrique de l’Ouest restent intactes. La conclusion définitive de
l’acquisition de 79,15 % du capital de CBAO, intervenue le 21 avril
dernier après six mois de négociations, lui confère désormais une
position de première importance au Sénégal et dans la sous-région.
Access Bank vise 22 pays
En Afrique centrale, le faible dynamisme du tissu bancaire et,
surtout, ses liens encore très importants avec les pouvoirs politiques
freinent pour l’instant l’appétence des banques internationales. Ce qui
laisse le champ libre aux ambitions désormais clairement affichées par
les établissements nigérians. Flanquées de plusieurs milliards de
dollars de capitalisation boursière, dont elles ne savent réellement
que faire, les banques nigérianes s’orientent peu à peu vers une
expansion régionale. Le Ghana a été le premier pays visé à l’ouest.
Suivi de la Gambie, puis du Liberia et de la Sierra Leone. Tout comme
United Bank of Africa (UBA) - première banque du Nigeria et d’Afrique
de l’Ouest par son total de bilan de 5 milliards de dollars -, Access
Bank (huitième groupe bancaire du pays) annonce être déjà opérationnel
dans sept pays hors Nigeria, avec des filiales en Zambie et en RD
Congo. Il a même déjà avancé ses pions en zone francophone puisque, à
la fin de mars, le groupe a été autorisé à prendre 88 % du capital de
la banque ivoirienne Omnifinance, dans laquelle il a injecté quelque 11
millions d’euros. Ses compatriotes Diamond Bank et Zenith Bank auraient
également demandé leur agrément en Côte d’Ivoire. Quant à UBA, elle l’a
déjà obtenu. Cette dernière est par ailleurs entrée au capital de la
Banque internationale du Burkina (BIB) et a créé une filiale au
Cameroun. La volonté d’UBA de s’installer dans douze nouveaux pays
africains d’ici à la fin de l’année 2008 et celle d’Access Bank d’en
compter vingt-deux d’ici à cinq ans, via son holding Access Pan Africa,
en disent long sur les ambitions des banques nigérianes et sur les
opérations d’acquisitions qui se joueront dans les mois qui viennent.
D’autant que d’autres pourraient se joindre à la danse, dont les
banques du Golfe, qui semblent s’intéresser de plus en plus à l’Afrique
de l’Ouest, notamment sur le marché de la finance islamique.
Reste à connaître leurs cibles… Parmi elles, seuls trois groupes
régionaux sont susceptibles d’attirer d’éventuels acquéreurs. Les deux
plus importants groupes, Ecobank et Bank of Africa, connaissent des
sorts différents. Ecobank a, pour l’instant, bloqué la montée dans son
capital de la banque d’investissement Renaissance Capital, affirmant sa
volonté de conserver un actionnariat diversifié. De son côté, Bank of
Africa est déjà tombée entre les mains de BMCE Bank, qui devrait
continuer à renforcer ses parts dans le capital. Pour un acquéreur,
choisir un groupe régional présente l’avantage de disposer, d’emblée,
d’une implantation dans plusieurs pays. Mis à part Ecobank - sa
valorisation en Bourse en fait une cible quasi inaccessible -, les
groupes régionaux sont relativement bon marché : prendre 35 % du
capital de Bank of Africa n’aura ainsi coûté qu’une trentaine de
millions d’euros à BMCE, soit environ 3 millions d’euros par pays.
Les objectifs et l’avenir des groupes Banque Atlantique, Financial Bank
et Afriland First Bank suscitent donc le plus vif intérêt. Le premier
ne cache pas qu’il est, depuis plusieurs années, à la recherche d’un
partenaire stratégique. Des discussions relativement avancées avec un
groupe nigérian ont achoppé, au début de 2007. Depuis, le départ du
directeur général Félix Bikpo, remplacé depuis peu par Charles Kié
(ancien dirigeant de Citibank en Côte d’Ivoire), a ajouté encore un peu
d’incertitude sur l’état d’avancement de l’ouverture du capital. «
L’opération devrait avoir lieu d’ici au mois de juin, avance Koné
Dossongui, président du groupe Banque Atlantique. Nous avons reçu de
nombreuses sollicitations, de toutes origines, même de l’Iran. » Pour
sa part, le Camerounais Paul Fokam, dirigeant d’Afriland First Bank et
de plusieurs banques d’Afrique centrale, s’est récemment décidé à créer
un holding qui regroupe toutes ses participations bancaires et, selon
nos informations, l’entrée d’un partenaire de référence serait
envisagée. Financial Bank, aujourd’hui entre les mains de la famille
française Baysset, devra quant à elle ouvrir son capital avant 2010,
afin de lever une quinzaine de millions d’euros. Objectif : se
conformer aux nouvelles exigences de l’Uemoa, qui requièrent que d’ici
à 2009 les établissements disposent de 5 milliards de F CFA de capital,
et anticiper celles de la Cemac, qui devrait bientôt adopter une
disposition similaire. C’est pour cette raison que l’ivoirienne
Omnifinance s’est vendue à Access Bank. « Pressentant l’obligation de
monter le capital à 10 milliards, nous avons entrepris, dès la fin de
2006, de développer des contacts avec des partenaires financiers »,
explique Simon Akabla, responsable marketing d’Omnifinance. Et ce sont
aussi ces réformes qui devraient introduire, dans les années à venir,
une nouvelle dynamique dans la zone CFA, en forçant les établissements
à se doter de moyens financiers supplémentaires et, donc, à ouvrir leur
capital. Les candidats sont désormais légion. La bataille va commencer.
(Source: Frédéric Maury, Jeuneafrique.com)