Dix mesures pour booster la bancarisation dans l'UEMOA
Mesure 1: Implication des autorités politiques
La bancarisation est un processus qui reflète le niveau de développement économique. Mais parfois, elle reflète simplement une vision politique. Cette dernière option est plus accessible aux pays de l'UEMOA. Le niveau de développement est si bas qu'il est impossible de faire de la bancarisation, une conséquence naturelle du progrès économique. Il est primordial que la vulgarisation des services bancaires soit un cheval de bataille de chacun des huit gouvernements de l'Union. Des décisions peuvent être prises au niveau des instances politiques communautaires, mais elles ne peuvent et ne doivent pas remplacer l'ambition politique librement exprimée dans chaque Etat membre. Les différents gouvernements doivent l'inscrire dans leurs programmes d'actions et œuvrer pour dynamiser le processus.
Mesure 2 : Application de la directive sur la bancarisation
Il existe plusieurs textes qui régissent le secteur bancaire en général et la promotion de la bancarisation en particulier. Leur mise en application est parfois non effective. L'exemple le plus patent est celui de la directive N°08/2002/CM/UEMOA portant mesures de promotion de la bancarisation et de l'utilisation des moyens de paiement scripturaux. Cette directive est transposée en loi dans les pays de l'Union mais sa mise en application n'est pas effective. Dans plusieurs pays, les salaires ne sont pas bancarisés et le règlement des impôts continue de se faire parfois en monnaie fiduciaire. Ce texte de loi doit être appliqué dans son entièreté dans chacun des Etats membres de l'espace communautaire.
Mesure 3 : Répression des incidents de paiement
L'une des tares du secteur bancaire de l'UEMOA est la gestion non dissuasive des incidents de paiement au point où, les instruments de paiement scripturaux sont rejetés par simple mesure de précaution. Il est primordial qu'un terme soit mis à cette situation déplorable qui constitue un frein à la promotion de la bancarisation et des moyens de paiement scripturaux. Pour cela, la Centrale des Incidents de l'UEMOA lancée en juillet dernier par l'autorité monétaire sera d'un grand secours. Ce dispositif est doté d'un cadre juridique bien étoffé dont la mise en application stricte pourrait dissuader toute infraction. La loi uniforme relative à la répression des infractions en matière de chèque, de carte, et d'autres instruments et procédés électroniques de paiement en cours d'adoption dans les différents Etats membres est le bras armé de ce dispositif. Elle prévoit des sanctions pécuniaires et/ou privatives de liberté en cas d'infraction. Les banques également pourront être sanctionnées en cas de manquement à leur devoir de déclaration des incidents. Il est indispensable que cette loi soit adoptée et, mise en application dans toute sa rigueur au niveau de chacun des Etats membre afin de sécuriser le paiement scriptural.
Mesure 4 : Refonte du dispositif du droit au compte
Le règlement N°15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans l'UEMOA, dans son article 8 crée un droit au compte à toute personne physique ou morale disposant d'un revenu régulier. Il précise qu' « en cas de refus d'ouverture opposé par trois établissements successifs, la Banque Centrale peut désigner d'office une banque qui sera tenue d'ouvrir un compte donnant droit à un service bancaire minimum ». Au delà de la notion du revenu régulier dont le contenu a été précisé par une instruction de la Banque Centrale et qui pourrait néanmoins être sujette à discussion, le recours à la Banque Centrale qui, est proposé en cas de refus d'ouverture de compte nous paraît assez problématique. Il n'est certainement pas applicable en l'état. Une personne confrontée à un refus d'ouverture est probablement une personne économiquement vulnérable. Il lui sera difficile d'exiger les preuves des refus des banques mais surtout de se présenter à la Banque Centrale pour se plaindre. Il nous semble nécessaire que ce dispositif soit revisité dans sa mise en œuvre.
Mesure 5 : Instauration de la médiation bancaire
La création d'un compte bancaire est le point de départ d'une relation commerciale au cours de laquelle des problèmes réels ou supposés pourraient survenir. Lorsque les clauses contractuelles prévoient expressément des solutions aux difficultés, cela se passe plus ou moins bien pour le client. Dans le cas contraire, il est souvent contraint de subir les pertes financières qui en découlent. Cette position de force des banques rebute plusieurs personnes qui, préfèrent ne même pas créer un compte bancaire. La gestion efficiente des conflits bancaires est donc indispensable pour une meilleure acceptation des services bancaires dans l'UEMOA. Il nous paraît important d'instaurer une médiation bancaire à deux niveaux: d'abord au niveau de chaque banque, ensuite au niveau national. Chaque banque devra recruter une personne ressource à qui les clients qui se sentent floués pourraient s'adresser. Chaque Etat devra également se doter d'une institution de médiation qui se chargera de régler principalement les conflits nés en interbancaire. Il pourrait également être utile de penser à une médiation sous-régionale.
Mesure 6 : Création de banques postales
Dans les Etats membres de l'UEMOA, les services financiers postaux ont une clientèle assez large. Le reversement de ces clients ou de leur immense majorité dans le secteur bancaire par le biais d'une transformation institutionnelle serait d'un gain important pour le processus de massification de la bancarisation. L'expérience récente du TOGO qui a enregistré en 2007, une progression de plus de 275% du nombre total de comptes bancaires actifs dans le pays grâce à la transformation en Banque Populaire pour l'Epargne et le Crédit (BPEC) de la Caisse d'Epargne du TOGO est assez illustratif de l'impact positif que pourrait avoir cette mesure.
Mesure 7: Instauration d'un compte spécial sans coût ni dépôt minimal
Selon le contexte économique et sociologique, le processus de bancarisation d'un pays peut être accéléré par l'instauration d'un compte spécial sans coût, ni dépôt minimal. Les pays de l'UEMOA évoluent dans leur ensemble, dans un contexte favorable à une telle initiative. Ce compte sera destiné aux personnes à faible revenu. Il devra être proposé par toutes les institutions bancaires dans les mêmes formes. L'expérience du compte bancaire mzansi en Afrique du Sud pourrait servir de référence pour cette mesure. Le mzansi a permis à ce pays d'améliorer de façon substantielle son taux de bancarisation.
Mesure 8 : Assignation d'un objectif de bancarisation au secteur bancaire
La bancarisation de masse n'est pas une activité rentable en soi, du moins pas à court terme. Les banques pourraient être réticentes à supporter des charges d'entretien de comptes bancaires et de fourniture de services bancaires de base, juste pour un objectif de taux qui ne se traduirait pas rapidement par des marges bénéficiaires confortables. Elles pourraient ne pas souscrire à l'initiative si elles n'y sont pas «forcées» par un mécanisme bien pensé. Un exemple de mécanisme qui a montré son efficacité est le principe du « Play or Pay » instauré par le Community Reinvestment Act aux Etats-Unis. Il s'agit d'un mécanisme destiné à inciter les banques commerciales à participer au développement économique de leurs zones d'implantation. Celles qui ne jouent pas le jeu paient pour les autres. Celles qui jouent le jeu sont primées. L'UEMOA a besoin d'un mécanisme pareil pour éviter que les banques ne défilent devant leurs responsabilités sociales, d'autant plus qu'elles sont pour la plupart aux mains de capitaux étrangers. Une telle mesure pourrait, au delà de la simple bancarisation, servir pour le financement bancaire de l'économie.
Mesure 9 : Amélioration de l'accès au crédit bancaire
Au delà de la sécurisation des avoirs, la bancarisation sera bien acceptée par les populations si elle se traduisait en une relation bancaire fructueuse, c'est-à-dire génératrice de financement pour les activités commerciales ou non. Une « démocratisation » du crédit bancaire constituera à n'en point douter, un appel quasi irrésistible à la création de comptes en banque. Le respect des conditions débitrices par les banques serait déjà un début prometteur pour l'atteinte de cet objectif. Mais au delà de cela, il faudra probablement introduire, à moyen ou long terme le scoring pour réduire la demande de suretés réelles en garantie des prêts bancaires. De nombreux ménages au revenu régulier sont recalés lors d'une demande de crédit pour absence de garantie fiable. Le credit scoring pourrait palier cette situation, améliorer la distribution du crédit et donc le taux de bancarisation.
Mesure 10 : Etablissement d'une passerelle entre les IMFs et les banques
La bancarisation doit être inscrite dans un processus global d'inclusion financière qui inclut l'accès aux services financiers décentralisés. De nombreux agents économiques « à faible pouvoir financier »' ont accès aux IMFs mais restent complètement en dehors du secteur bancaire en dépit du chiffre d'affaire sans cesse croissant de leurs activités. La microfinance est un instrument de lutte contre la pauvreté. Elle ne saurait jouer le rôle de financement de l'économie qui est dévolu au secteur bancaire et au marché financier. Il est important qu'une passerelle soit établie entre les IMFs et les banques afin que les populations qui ont atteint un certain niveau dans la pratique de la microfinance puissent intégrer progressivement le secteur bancaire pour la prospérité de leurs activités et le progrès économique de l'Union.